Boulimie. La maladie du mensonge.

Pendant près de dix ans, Mélinda* a été atteinte d’anorexie, puis de boulimie. D’une « solution miracle » pour contrer la prise de poids quand elle avait 15 ans, à un renfermement sur soi cinq ans plus tard, elle raconte sa maladie. Aujourd’hui, la trentenaire est pleinement heureuse et ce, notamment grâce à l’association Anorexiques Boulimiques Anonymes (Aba), qui tenait sa réunion régionale ce week-end, à Saint-Brieuc.

 

Les débuts

« Tout a commencé vers 10-11 ans. C’était une période où j’étais assez mal dans mon corps. J’ai fait plusieurs régimes avant de tomber dans une période d’anorexie, vers 15 ans. Ça n’a pas duré longtemps, seulement quelques mois. J’ai perdu un peu de poids, mais ce n’était pas alarmant, je n’ai pas eu à être hospitalisée contrairement à d’autres personnes de l’association qui sont passées par des anorexies beaucoup plus sévères. Et puis un an après, la boulimie, sur les conseils d’une copine. Elle m’avait dit : Il y a un truc extraordinaire pour ne pas grossir. Tu manges ce que tu veux, puis tu te fais vomir après. Ça peut paraître dégoutant mais je me suis dit Je vais essayer. Au début, je trouvais ça vraiment formidable, je me sentais toute puissante. Je croyais vraiment avoir trouvé la solution miracle. C’est facile, il n’y a pas besoin de se restreindre, de faire du sport… Au début, on a l’impression de contrôler, puis il arrive un moment où l’addiction devient plus forte. D’une crise par semaine, je suis passée à deux, puis trois. Puis une crise par jour… »

Les crises

« La première année, je me faisais une orgie au goûter, genre trois paquets de biscuit, dix pains au chocolat, le vendredi en sortant des cours. C’était un moyen de décompresser après le lycée. Je mentais à mes parents en disant que c’était mes petits frères qui avaient tout mangé. Et puis les crises se sont intensifiées. Durant les fêtes, les buffets, je me resservais. On me disait, Melinda, bonne mangeuse. Quand tout le monde partait, je finissais les plats. L’alcool me servait d’alibi. Je disais que j’avais trop bu et ça me donnait une excuse pour aller vomir. Le vomissement, c’est très violent. Il y a un sentiment bestial. Avoir vomi, on se sent sale. Je me lavais les mains dix fois, les dents… Dès que je mangeais, je ne supportais plus rien dans mon corps. »

Le mensonge

« La boulimie, c’est la maladie du mensonge. Et moi, j’étais très douée pour le cacher. C’est très facile. Chez moi, je vomissais dans ma chambre, dans un sac pour ne pas laisser de traces. Dans une fête, vous allez dans les toilettes, personne ne vous entend car il y a de la musique. Vous vous lavez les mains, un petit coup de maquillage. Les yeux sont un peu explosés mais dans une soirée, on peut imaginer que c’est dû à autre chose. Je mentais à tout le monde mais la première personne à qui je mentais, c’était à moi-même. Je voyais que la maladie empirait, que les crises ne faisaient qu’augmenter en fréquence et en intensité. Mais je n’arrivais pas à m’arrêter. »

Les proches

« Mes parents n’ont rien vu ou ont fait semblant de ne pas voir. Il n’y avait pas trop de communication dans la famille. En même temps ça ne se voyait pas physiquement, j’arrivais à garder un poids stable. Je faisais de grosses crises, je me faisais vomir mais je gardais un peu de repas pour ne pas avoir trop de fluctuation de poids. Mes frères n’ont plus n’avaient rien remarqué. J’en ai parlé avec eux récemment, ils étaient très surpris. Les seuls à qui j’en ai parlé à l’époque, ce sont mes meilleurs amis, sans tout leur raconter bien sûr. Ils ne comprenaient pas. Ils me disaient : C’est comme pour un fumer, tu n’as qu’à arrêter. Tu ne manges plus en excès et tu ne fais plus de crises. Mais je n’y arrivais pas. Tout ça entraîne un vrai sentiment de culpabilité. »

La première réunion

« J’ai découvert l’association des Anorexiques Boulimiques Anonymes en 2005, grâce à une annonce dans le journal. Je ne vais pas dire que j’ai vu une lumière blanche et que tout s’est arrêté mais j’ai ressenti un profond soulagement. Je me suis dit : Il y a des personnes sur terre qui vivent la même chose que moi. Ça m’a procuré un soulagement inexplicable parce que je me sentais incroyablement seule. Vers la fin, la maladie isole. Il faut mentir, se cacher. Tout est stratagème. Et c’est vraiment fatiguant. A la réunion, on m’a expliqué que je n’avais pas choisi d’être boulimique, que c’est une addiction. C’est une maladie liée à l’hypersensibilité, à des émotions qui sont à fleur de peau. Les crises se sont arrêtées un mois et demi après la première réunion. »

Le suivi médical

« Pendant les cinq années où j’ai été atteinte de boulimie, j’ai essayé de consulter des professionnels. J’en ai vu des psychiatres, des diététiciens… Je ne permettrais pas de critiquer le corps médical, et il est important de rappeler que l’association ne se substitue pas à un suivi médical. Mais au cours de ces rendez-vous, je n’ai pas eu la sensation d’être entendue et comprise. Pour certaines personnes ça fonctionne mais pas dans mon cas. A l’association, on est dans le partage d’expérience. C’est bête à dire mais de l’entendre de la part d’une personne qui a vécu la même chose, ça change tout. »

Dix ans après

« On n’est jamais guéri de la boulimie. Je suis émotive et je dois faire attention à mes émotions, qu’elles soient positives ou négatives. Mais ce n’est pas pour autant que je vais rechuter. Aujourd’hui, j’ai une vie professionnelle, une vie de famille. Je suis pleinement heureuse. Je continue d’aller en réunion tous les lundis parce que ça me fait du bien. Et je viens dire aux nouveaux que oui, il est possible de s’en sortir. »

*Le prénom a été modifié

L’association. « Ce n’est pas le bureau des pleurs »

« Tout ce qui se passe en réunion, reste en réunion ». Voilà une des règles d’or de l’association des Anorexiques Boulimiques Anonymes. Créée en 2002 à Saint-Brieuc, elle accueille chaque lundi des réunions de parole auxquelles participe une quinzaine de personnes en moyenne. Les A.B.A., comme ils s’appellent, viennent à la fois témoigner, s’exprimer ou tout simplement partager leur expérience.

A la manière des Alcooliques Anonymes, le leitmotiv des participants est l’entraide. Mais attention, les A.B.A. ne sont pas là pour s’apitoyer sur leur sort. « L’association, ce n’est pas le bureau des pleurs. Ici, les gens ne cherchent pas la pitié. Il y a des thèmes de réunion, comme la liberté par exemple. On discute librement », explique Mélinda.

Sept groupes en France

Aujourd’hui, il existe sept antennes en France, dont deux en Bretagne, à Saint-Brieuc et à Rennes. « Même si je ne fais plus de crises depuis maintenant dix ans, je continue de venir en réunion pour témoigner, pour accompagner les nouveaux. Ça me semble important et ça me fait du bien », raconte Mélinda.

Deux types de réunion sont proposés. Tout d’abord celles dites « fermées ». Elles sont réservées aux anorexiques et boulimiques, où le principe de l’anonymat est de mise et ont lieu tous les lundis à 20h. Des réunions dites « ouvertes » sont également organisées à destination des membres, de leur entourage et des professionnels souhaitant connaître le mouvement.

Pratique

Réunion tous les lundis à 20h,

7, rue de la gare à Saint-Brieuc.

Contact : http://anorexiques-boulimiques-anonymes.org ou tél 06.34.32.93.81

 

Un suivi médical est indispensable

Docteur Boussaid, psychiatre au centre de soins de Saint-Benoît Menni, estime qu’une prise en charge médicale est essentielle dans le cadre de l’anorexie et de la boulimie.

Pourquoi doit-on s’orienter vers des médecins dans le cadre de l’anorexie et de la boulimie ?

« L’anorexie et la boulimie sont des maladies graves et sévères. Un suivi médical est indispensable pour les soigner. Notre objectif est d’identifier les causes de la maladie. Pour cela, nous devons établir une relation de confiance, tant avec le patient qu’avec sa famille. La boulimie est un passage à l’acte physique, très agressif. Il est souvent lié à une angoisse interne qui est difficile à intellectualiser. »

Quel suivi médical est proposé au patient ?

« Nous proposons un suivi psychologique, nous pouvons orienter les patients vers des diététiciens. Dans le cadre d’un trouble très sévère, nous pouvons également entrer en relation avec l’hôpital Yves-Le Foll pour une prise en charge. Les personnes atteintes d’anorexie et de boulimie ne représentent que 5 ou 10% de nos patients. De plus grosses structures, à Rennes et Nantes par exemple, existent dans le traitement de ces maladies. »

Selon vous, quel rôle jouent les associations dans le processus de guérison ?

« Je ne peux pas dire que je suis pour ou contre. Ce qui me semble important, c’est que la structure apporte quelque chose de l’ordre de l’estime de soi, du bien-être. »

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