TEMOIGNAGE DE LOUISE (janvier 2018)
D’aussi loin que je me souvienne, mon rapport avec l’alimentation a toujours été complexe.
Enfant, on m’appelait « appétit d’oiseau ». Dès la maternelle, je triais les aliments dans mon assiette pour ne pas qu’ils se mélangent ; à la cantine, je ne mangeais rien. La nourriture relevait d’une source de conflits permanente dans ma famille : on me jugeait « difficile » et on me disait que je « devais me forcer à manger de tout ».
Je suis fille unique, j’ai eu une enfance classique avec deux parents aimants et attentionnés. Je ne manquais de rien. J’étais très douée à l’école, faisais du sport et de la musique, mais j’avais le besoin maladif d’exceller partout. Je me sentais vide dès que je n’y parvenais pas. J’étais le bouc émissaire en primaire et me plaçais souvent en position de victime sans m’en rendre compte. Dès le collège, je faisais en sorte de maîtriser mon poids et mangeais des aliments « interdits » en cachette. Sans m’en apercevoir, cela me rassurait d’être plus maigre que les autres ; en plus, cela attirait l’attention sur moi.
Passionnée par la mode, je rêvais d’être un jour Miss France. Je regardais sans cesse les magazines, les défilés de créateurs, les campagnes de publicité et m’imaginais à la place des mannequins. J’ai grandi en me comparant à elles car elles reflétaient mon modèle de beauté, l’image que je me faisais d’une belle femme. A 18 ans, j’étais trop petite pour participer au concours Miss France! Quelle déception pour moi ! Comme une revanche, je me suis ainsi destinée à faire de longues études afin d’être la réussite et la fierté de ma famille.
La maladie a explosé à 19 ans après une violente rupture amoureuse. Je me rappelle avoir mangé en grande quantité des aliments (surtout sucré : gâteaux, chocolats, céréales, pain, etc.) que je m’interdisais car je craignais qu’ils ne me fassent grossir. J’étais en Espagne avec mes parents et ils m’ont retrouvée après une balade à pleurer car j’avais englouti tout ce que j’avais trouvé dans les placards sans comprendre ce qui s’était passé. Ça a été le début de l’enfer. Je n’ai jamais réussi à me faire vomir, à mon plus grand désespoir à l’époque, et je compensais mes excès en jeûnant les jours suivants, en faisant beaucoup de sport et en prenant des laxatifs. Je passais mon temps à me cacher pour manger, pour ne pas manger, à mentir, à voler de l’argent ou de la nourriture, à ne vivre que pour atteindre l’idéal de perfection que je m’étais fixé.
Je me suis éloignée de mes amis car je ne parvenais plus à sortir. Je ne voulais pas qu’on voie à quel point j’étais grosse et moche. Je me sentais seule dès que je mangeais. J’avais peur de partager des repas. J’avais peur de tout. J’ai rapidement arrêté mes études car j’étais dépressive, suicidaire et je ne pensais qu’à la nourriture. Je ne voyais pas de but à ma vie : je voulais être quelqu’un d’extraordinaire et je me considérais comme une ratée. En plus, ma mère avait des graves problèmes de santé avec une hygiène de vie irréprochable, et moi je n’arrivais pas à m’alimenter normalement. J’avais tout pour être heureuse et je me détruisais : la culpabilité était partout. J’ai été hospitalisée plusieurs fois en clinique psychiatrique. C’est là que j’ai fait mon premier épisode d’anorexie sans boulimie pour compenser. J’avais l’impression d’être heureuse et de me trouver enfin jolie, alors que quand je vois les photos aujourd’hui, j’étais véritablement en train de mourir.
J’ai passé les années suivantes à essayer de continuer de vivre comme je pouvais mais les problèmes alimentaires empiraient. Je ne maîtrisais plus rien. Je pensais que j’étais folle et condamnée à faire des crises pour toujours.
J’ai ouvert la porte des ABA en décembre 2015 et j’ai rencontré des personnes malades comme moi. Au début, je jugeais et trouvais que ces personnes rétablies étaient moins malades que moi et ne pouvaient pas me comprendre : mais c’était mon égo qui parlait !!
J’ai suivi les réunions semaine après semaine, certainement parce que j’y croyais encore au fond de moi. Je me définissais uniquement comme boulimique. Pendant 6 mois, j’ai arrêté de faire des crises de boulimie : je croyais aller bien et me rétablir, même si je trouvais bizarre de maigrir autant ! Des amis ABA m’ont aidée à voir que les repas que je faisais étaient des repas d’anorexique. Ça a été un choc très violent. Pour moi, les anorexiques étaient des squelettes qui ne mangeaient pas ou se faisaient vomir alors que moi je faisais mes 3 repas par jour ! Grâce à l’association, aux réunions hebdomadaires, aux partages téléphoniques, au parrainage*, je vais mieux. En essayant un jour à la fois, j’ai accepté de demander de l’aide et faire confiance aux membres de l’association car je n’y arrivais pas toute seule et voulais connaître autre chose que la souffrance. J’ai appris que j’étais malade et que ce n’était pas ma faute.
Je n’ai pas fait de crises de boulimie ni de restriction depuis plus de 8 mois et ma vie a changé. J’ai repris un logement, trouvé un emploi, je sors à nouveaux avec mes amis, fais des rencontres et des voyages. Je prends confiance en moi et goût à la vie. Ma relation avec la nourriture s’apaise, je ne culpabilise plus quand je mange et découvre le bonheur de partager des repas ou des activités sans être obsédée par la nourriture. Je ne cherche plus à être quelqu’un d’extraordinaire, juste à être moi.
*parrain : personne de confiance plus avancée dans son rétablissement.
Comments are closed